Entretien avec Igor Dieryck : lauréat du 38ème Festival d'Hyères

Depuis 1985, Hyères accueille chaque année le Festival de la Mode et de la Photographie.

Dans la ville à l’ambiance solaire, le Festival de la Mode et de la Photographie se dresse comme le cœur battant de la créativité alliant mode, photographie et festivités. Expositions et interventions ont donné le la de cet intermède créatif. Photographies, pièces de mode, accessoires en fusion, la Villa Noailles offrait une véritable plongée à travers son histoire.

Pour Igor Dieryck, créateur belge de 24 ans, le Festival de Hyères a été une entrée remarquable dans la grande lignée de lauréats du prix mode tels qu’Anthony Vaccarello, Victor & Rolf ou Felipe Oliveira Baptista. Il y présentait sa collection “Yessir”, inspirée de son travail d’étudiant en tant que réceptionniste dans un hôtel. Pour celle-ci, il redéfinit les codes du tailoring, ce qui lui vaudra trois prix : Le Grand Prix du Jury Premiere Vision, Prix le 19M des Métiers d’Arts et le Prix du public de la Ville d’Hyères. Dans ses silhouettes soigneusement travaillées, il rend visible les métiers de l'hôtellerie, trop souvent invisibilisés. Une performance qui a marqué les esprits pour les débuts prometteurs de ce jeune designer. 

3 récompenses à Hyères, comment vis-tu cette victoire ?

Je commence enfin à profiter un peu de ma victoire après 10 jours. Le moment en lui même était un moment super, je pense que je ne l’oublierais pas. Toute la suite a été assez intense. Tout le monde planifie au moins les 6 prochains mois ou l’année qui va suivre dans sa vie. Et là, un peu du jour au lendemain, il y a beaucoup de nouvelles choses qui se sont rajoutées à mes plans. Au début, c’était un peu la panique de voir comment j’allais pouvoir gérer tout ça. Il y a tout un mélange de flow médiatique et professionnel qu’il faut réussir à balancer tout en essayant de dormir et de prendre du temps pour soi.

Comment a débuté ton histoire avec la mode ?

Je dessine depuis que je suis petit. Je dessinais un peu tout et n'importe quoi. J’ai demandé à avoir des carnets où les silhouettes sont dessinées, je ne faisais que ça. Petit à petit, j’en ai parlé avec ma mère qui m’a proposé de suivre des cours de couture. Je suis allé chez une couturière, qui est une couturière avec qui je travaille aujourd’hui quand j’ai besoin d’un petit coup de main sur certaines de mes pièces. Elle m’a appris à coudre. C’était ça mon entrée dans la couture et c’est en allant à l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers que j’ai fait une entrée dans le milieu de la mode.

Y-a t-il des modes de productions que tu favorises pour tes pièces  ?

Pour le moment, nous n’avons pas encore notre propre marque mais il y a des techniques qui reviennent beaucoup dans mon travail, comme le tailoring. Je suis quelqu’un d’assez rationnel avec un côté très matheux, tout cet aspect technique et de construction c’est quelque chose qui m'intéresse beaucoup.

Tu as collaboré avec Chanel et Lemarié sur une doudoune en plume, qu’est-ce qui t'a inspiré dans cette collaboration ?

Je trouve que c’est important qu’il y ait différentes couches de compréhension. Il y a toujours un aspect assez premier degré, que l’on voit sur le défilé, que l’on comprend directement. Ma collection parle de mon job d’étudiant en tant que réceptionniste. On voit la veste cloche pour le bell boy ou la robe plateau, on comprend directement le lien. C’est important aussi que toutes ces choses là aient un deuxième message. Quand j’ai décidé d’élaborer cette pièce, je travaillais avec Lemarié qui est le plumassier de Chanel. J’ai directement pensé à faire une pièce qui évoquait un objet fait de plumes au sein de l'hôtel, et donc c’est assez naturellement que je me suis tourné vers le plumeau. J’avais envie de faire une pièce qui évoquait la forme d’un plumeau. C’est pour ça aussi que les plumes sont en textiles. Je trouvais ça plus intéressant d’évoquer la plume avec du textile que d’évoquer la plume en faisant de la plume. Dans le choix de la silhouettes et des couleurs, c’est rendre cet objet qui est totalement invisible et les personnes qui font un travail d’entretien qui sont totalement invisibilisées, prendre ces éléments là et en faire le look le plus visible de la collection. Le look le plus flamboyant ou le plus extravagant. J’aimais bien ce contraste entre l’inspiration initiale et ce vers quoi je l'amenais.

Cette année à Hyères, la jeune génération était représentée à la fois dans le jury et dans les nommés. Qu’est ce que ça reflète selon toi ?

Je pense que la mode a toujours bien aimé la jeunesse, d’une certaine manière. Quand on regarde les mannequins, ils sont très jeunes, parfois même un peu trop jeunes. C’est un truc qui est propre à la mode et à toutes les industries du spectacles, comme la musique par exemple. Je trouve ça intéressant que le Festival d’Hyères se concentre sur la jeune génération. Le festival est un tremplin, il donne vraiment des opportunités incroyables pour le gagnant mais aussi pour tous les autres finalistes. Tout le monde a rencontré des gens incroyables, ça permet de se faire un réseau, de rencontrer des professionnels des médias et différentes personnes. La mode est un milieu tellement fermé. C’est génial, en étant jeune, de pouvoir d’un coup rencontrer les personnes les plus influentes de Paris. Je pense qu’il y a forcément une forme de naïveté, qui est intéressante car on est tous jeunes, on a des grands rêves. Les jurys l’ont dit, aucune collection n’est parfaite, c’est cette idée de mettre en lumière tout le processus et la genèse de différents projets.

Tu reprends les codes des uniformes dans ta collection. Qu’est-ce que l’uniforme évoque pour toi ?

Le concept d’uniforme, c’est un concept assez large. Beaucoup de gens portent des uniformes sans s’en rendre compte. Au bureau d’Hermès, vu de l’extérieur, les gens doivent se dire que l’on porte un uniforme aussi, car il y a un certain look. Je pense que c’est comme ça dans beaucoup d’endroits. Dans mon cas, c'était l’uniforme précis de l'hôtellerie. Pour moi, l’uniforme est quelque chose d’assez vaste et ce n’est pas que négatif. Dans la mode, ça pourrait avoir une connotation négative, car l’idée est de se différencier et de sortir du lot. Parfois l'uniforme peut justement aider à s’intégrer à un groupe et à faire partie d’une certaine communauté. Comme je le disais dans ma présentation, l’uniforme modifie la perception que les gens ont de nous. L’impression en anglais : “Fake it till you make it”, c’est un peu superficiel mais c’est l’idée de mettre sa carapace.

Tu travailles en tant que junior designer chez Hermès, comment ton travail pour la maison a influencé tes créations ?

C’est très important pour moi de garder vraiment une certaine différence entre mon travail personnel et le travail que je fais chez Hermès. J'apprends beaucoup de choses chez Hermès, c’est une maison avec une histoire incroyable. Je m’inspire davantage de mes expériences personnelles, ce qui n’est pas forcément ce que je fais au bureau. Je fais des choses qui n’ont rien à voir avec Hermès, et pourtant je pense que les deux à leurs façons sont totalement moi, c’est ça qui est intéressant.

Un créateur qui t’inspire ?

Il y a des gens qui m’ont beaucoup inspirés depuis toujours et dont j'adore le travail, notamment Raf Simons et Dries Van Noten, je pense que c’est parce que j’ai étudié à Anvers et que j’ai été bercé dans l’histoire de la mode belge et de toute cette culture importante. Leurs travaux, leurs interviews et ce que je trouve sur eux ont aussi une influence sur la manière dont je perçois les choses. Je ne dirais pas que j’ai une personne qui m’influence, il y a beaucoup de choses et d’influences qui m’inspirent.

Faire de la mode actuellement, quels sont les enjeux auxquels tu fais face ?

Il y a beaucoup d'enjeux. C’est une des industries les plus polluantes et en même temps il y a cette demande d’apporter en continu de nouvelles idées et de nouveaux produits. Il y a des messages contradictoires qui se croisent en continu. On est dans un moment où la mode est en pleine évolution, mais je ne saurais pas dire en évolution vers quoi. Beaucoup de marques essaient de tourner un aspect plus sustainable dans leurs collections et en même temps sur les réseaux sociaux encouragent le fait que l’on augmente le nombre de défilés et de collections capsules. Il y a beaucoup de challenge, moi même je suis en questionnement et je le vois autour de moi dans l’industrie. C’est assez difficile à une échelle individuelle de se faire une opinion de tout ce qu’il y a à faire pour le futur.

Emilie Issart

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