Entretien avec Domestique : maroquinerie parisienne de talent

Bastien Beny et Simon Delacour, duo de créateurs derrière la marque Domestique, sont à l'initiative d’accessoires de maroquinerie made in Paris.

Depuis 2016, ils développent le projet Domestique et arpentent les rues de la capitale pour produire leur collection, le tout dans un rayon de 2 kilomètres autour de leur bureau à la Caserne, haut lieu de mode écoresponsable parisien. Domestique n’a rien à voir avec les marques de maroquinerie traditionnelles. Ils bousculent les codes du luxe, du design des accessoires jusqu’à leur mode de production, pour proposer à leurs clients des articles à la commande, fait directement dans leur atelier à partir de matériaux écoresponsables. La marque fait appel aux sentiments, en proposant des accessoires inspirés de produits du quotidien. Après une collection inspirée des accessoires de bureautique, la collection "Pleasure Room" était inspirée des accessoires BDSM. Des harnais, fouets et choker au design léché et à la manufacture impeccable qui installaient la marque comme une référence en matière de créativité et de maroquinerie. En 2023, Domestique frappait fort à nouveau en dévoilant "Marché Nouveau", une gamme d'accessoires de maroquinerie en trompe-l'œil autour des objets du marché, allant de la cagette au sac en kraft, en passant par le ticket de pesée. Une collection qui fait sens, à la fois concernant le besoin de proximité de la marque à travers ses modes de productions, mais également pour leur ADN créatif résolument dénonciateur de la société de consommation. Le concept de "Marché Nouveau" a séduit , puisqu’il a propulsé la marque et ses créateurs comme gagnants du Grand Prix de la Création de la Ville de Paris 2023 dans la catégorie Accessoires Mode. Le prix, remis par Jean-Charles de Castelbajac, représente beaucoup pour ces deux anciens élèves de l’école de Condé. Bastien Beny nous a partagé son ressenti quelques semaines après cette victoire pour sa marque, ses inspirations et ses ambitions pour le futur de Domestique. 

Vous-vous êtes rencontrés comment ? 

Avec Simon, l’histoire est fusionnelle. On est tous les deux normands d'origine. On s’est rencontrés sur les bancs de l’école, il y a 18 ans, à l’école de Condé, qui est une école d’Arts Appliqués. Avec Simon, on était tous les deux partis sur autre chose, on avait des vues sur l’architecture.  On s’est tous les deux fait avoir par la prof de mode, une personne passionnante qui nous a introduit à ce médium qu’est la mode et sur les affinités que l’on pouvait avoir le design en général. La rencontre s’est faite ici, et on ne s’est pas séparés depuis. Il y a 7 ans, je viens voir Simon avec un possible projet, il a accepté de rentrer dans cette aventure un petit peu folle. 


Dans votre duo, comment se distribuent les rôles dans votre processus créatif ?

Simon est un créatif aussi, mais tout en poussant le parcours un peu plus marketing, commercial et digital. J’apporte les impulsions créatives et une cohérence de collection. Avec Simon, on est beaucoup sur l’humain, il faut qu'Esteban - qui est apprenti stagiaire chez nous - ait aussi son mot à dire sur le design ou sur un placement de motif. On est quatre personnes “en dur” chez Domestique depuis le début d’année. Toutes les personnes ont un avis à donner, c’est aussi une chance d’être à la Caserne. 


Votre collection Marché Nouveau s'inspire des produits des marchés locaux : cagettes, sac en craft, paniers, porte clé tickets, mais aussi des fouets qui se confondent avec des bouquets de fleurs. Quel est le message derrière cette utilisation d'objets du quotidien ? 

Le pitch de cette collection, c'est de mettre encore plus en avant nos valeurs écoresponsables et nos engagements que l’on développe depuis sept ans chez Domestique. C'est-à-dire d’avoir un sourcing ultra-local avec  95% de nos fournisseurs situés dans un rayon de deux kilomètres. On s’est dit : “Qu’est-ce qui pourrait correspondre à cet univers de l’ultra-local ?” Le marché correspondait très bien à ça. Ça rappelle aussi énormément l’enfance.

Vous aimez détourner des objets, après Marché Nouveau, qu’est-ce que vous imaginez pour la suite ?


Domestique fait une collection par an. On n'aime pas trop la saisonnalité trop rythmée de la mode. La prochaine collection peut aller à l’opposé. Là, c'est des iconiques du marché local que l’on a détourné, on a envie après de détourner l’esthétisme de la grande surface où tout est référencé en rayonnage. On aime bien jouer sur les normes. Il y a une norme qui s’appelle “le trou européen”, que l’on va essayer de détourner, pour avoir l’opposé d’acheter localement, acheter en grande consommation. Tout en le travaillant avec des matériaux nobles, durables et écoresponsables, pour avoir ces deux imageries qui viennent s’opposer.

Vous remportez cette année le Grand Prix de la Création de la ville de Paris dans la catégorie accessoire, qu’est-ce que ça représente la reconnaissance de ce prix ? 

C’est vraiment important. D’autant plus pour les 30 ans. On est trentenaires avec Simon et on croit énormément aux signes. Ça nous laisse penser qu’à ce stade de la société Domestique, on commence à être un peu plus mûr dans l’esthétisme, le concept et le discours que l’on a envie d’apposer, qu’il est compréhensible. C’est une fierté que le Grand Prix nous ait félicités après des mois de recherches et de développement.


Depuis 2018, Domestique est labellisé “Fabriqué à Paris” et s'est engagé avec En Mode Climat et Paris Good Fashion, quel est le rôle d’une marque aujourd’hui concernant les enjeux environnementaux ? 

Je suis professeur dans une école de mode où j’ai parlé d'éco-responsabilité. Une marque se doit obligatoirement d’avoir cet axe responsable, que ce soit dans la typologie, dans les matières utilisées, dans le sourcing, dans la fabrication, dans les valeurs de responsabilités sociétales. Que ce soit fabriqué par des gens qui ont un salaire décent ou autre, c’est une obligation.


Vous utilisez des processus de production très particuliers en faisant appel à des fournisseurs et artisans locaux mais aussi en utilisant des techniques de production complexes comme la découpe au laser, comment est-ce que ça influe sur la durabilité des produits ? 

On s’appelle Domestique parce que l’on aime domestiquer des savoir-faire. Le savoir-faire, ça fait déjà une quinzaine d’années que je le domestique moi-même, le savoir-faire maroquinier. Avec toutes ces techniques ancestrales, de la main, des outils vieux comme le monde. On a voulu les mêler avec des nouvelles technologies, notamment la Trotec, qui est une machine de découpe laser dernière génération. Notre défi, c'est d’essayer de sortir 100% fabriqué à Paris à un coût qui ne soit pas exorbitant.


Domestique est une marque seasonless, ce qui est plutôt novateur dans cette industrie. Qu’est-ce qui a motivé votre décision de prendre cette direction ? 

C’est le temps de prendre le temps, de sortir un produit qui résiste au temps.


Est-ce que vous pensez que ça représente une nouvelle ère pour le futur de la mode et des créateurs ? 

Depuis 15 ans que je suis professionnel là-dedans, je sens bien évidemment qu'il y a eu beaucoup de remises en questions. Mes élèves, sur ce côté seasonless et RSE, aujourd’hui c’est quelque chose de naturel pour eux. C’est une génération à qui tu n’as plus besoin de leur apprendre à consommer et de penser un produit qui soit respectueux. Je me sens rassuré là-dessus, le fait que les générations futures vont essayer de faire de cette industrie une industrie meilleure et notamment ici, à La Caserne.


Sur Première Classe, vous avez présenté vos créations à plusieurs reprises, quel a été l’impact du salon pour Domestique ? 

Il y a une fidélité qui s’est créée avec Premiere Classe, avec Sylvie notamment, pour ne citer qu’elle. On nous accueille avec un accompagnement dévoué avec des tarifs préférentiels pour les jeunes créateurs. Ensuite cette visibilité commerciale qui est très forte. Ça permet de montrer qu’une marque est constante, qu’elle résiste et qu’elle fait du chiffre, pour des boutiques un peu plus pointues ou un peu plus grandes, c’est une marque de légitimité et de visibilité.


Quel est votre meilleur souvenir sur Première Classe ?

Meilleur souvenir : les teufs. 


Selon vous, à quoi peut-on s’attendre comme tendances à venir, dans le secteur de l’accessoire ? 

C’est très difficile de répondre, pour un créatif. Je peux citer aussi le CNC (Conseil National du Cuir), qui veut nous envoyer les carnets des tendances, des formes, des couleurs, de tout ce qui est demain susceptible d’être acheté. C’est un truc qui me fout le cafard. Je ne sais pas si je suis apte à créer comme ça. Je ne sais pas si je suis dans le vrai ou dans le faux, mais on se laisse plus emporter dans l’accident créatif plutôt que d’aller suivre une tendance.

Emilie Issart

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