TikTok a-t-il tué Instagram ?

Réponse avec trois experts de la mode et des réseaux sociaux, qui parlent communauté, engagement, résilience et authenticité.

C’était le roi de la fête, qui avait détrôné Facebook et ringardisé les blogs. Un magazine digital à part entière édité par chacun à grands coups de filtres et de hashtags. Mais à force de contenus sponsorisés et de posts d’influenceurs ultra léchés, Instragram a perdu en authenticité. A-t-on consommé son contenu à outrance jusqu’à nous le rendre indigeste ? Ou le vent a-t-il simplement tourné, porté par la vague TikTok et par ses contenus plus spontanés, authentiques et accessibles, qui captent l’attention des consommateurs avec une force redoutable ? Quelles sont les nouvelles règles qui régissent les réseaux sociaux ? 

Une rupture profonde


Pour Romain Tardy, fondateur du Bureau Tardy et CEO de Marcia Wear, TikTok a créé une rupture profonde dans la façon dont nous consommons aujourd’hui le contenu digital. « Celui proposé par TikTok ne se base pas sur qui l’on suit, mais sur nos centres d’intérêt, grâce à la page ‘pour toi’. Une marque a donc la capacité d’aller chercher une audience plus large que sa cible initiale. » La clé pour capter son attention ? Des contenus courts, dynamiques et divertissants, en rupture avec l’esthétique léchée d’Instagram. Plus besoin d’avoir une communauté pour percer sur TikTok – la clé aujourd’hui est surtout d’être soi-même et de capitaliser sur une tendance, aussi niche soit-elle. Cottage Core, Brat Summer, Very demure / Very mindful en sont le parfait exemple : sur TikTok, esthétiques, célébrités, concepts et êtres humains sont placés sur le même plan et chacun a voix au chapitre. Pour les marques, c’est l’occasion de sortir du cadre parfait d’Instagram et des campagnes institutionnelles : il suffit désormais d’une vidéo bien pensée, jetée dans le flot d’une tendance.

Une stratégie versatile


« Ça marche très bien en France, parce que TikTok y est moins saturé qu’aux Etats-Unis. » nuance Flàvia Zerbinato, experte en communication et marketing d’influence, qui travaille notamment sur les marques Melissa et Typologie. « Aux USA, c’est devenu un moteur de recherche à part entière, qui affecte jusqu’aux scénarios politiques. » Pour elle, il est impossible pour une marque aujourd’hui d’omettre TikTok de sa stratégie réseaux sociaux, mais Instagram continue d’être indispensable. « Il faut prendre en compte deux choses : l’objectif de la campagne, et le positionnement de la marque. Le branding esthétique et minimaliste de Typologie est par exemple très axé Insta, mais pour ses objectifs de conversion, miser sur des influenceurs TikTok et sur le TikTok shop [fonctionnalité qui permet, dans certains pays, d’acheter des produits directement via TikTok] est extrêmement efficace. Chez Melissa, on est plutôt sur un objectif de positionnement culturel, de notoriété et d’engagement. On utilise donc les influenceurs, mais d’une autre manière. »

Théodore Charignon a co-fondé la marque de streetwear Veryrare, un grand succès d’Instagram. Pour lui, il s’agit surtout de garder un regard humain sur sa communauté. « On oublie facilement qu’il y a des gens derrière les followers. Chez Veryrare, on essaye de ne pas perdre de vue qu’il s’agit de personnes qui s’intéressent à nous et avec qui on doit interagir. On réfléchit en permanence à ce qui les intéresse, à comment leur parler, via des quizz ou des giveways par exemple. » Avec 80% de ventes réalisées aux Etats-Unis, TikTok représente, paradoxalement, un frein. « La diffusion des contenus y est beaucoup plus segmentée en fonction du lieu depuis lequel on poste, il est donc plus difficile de toucher une audience américaine depuis Paris qu’il ne l’est via Instagram. » Il mentionne également les problématiques politiques de TikTok, menacée d’être bannie aux États-Unis à défaut d’un accord de vente entre la Chine et le marché local.

Le luxe doit prendre le train en marche


Alors, miser sur Instagram ou sur TikTok ? Les deux, sans aucun doute. Comme le note Romain Tardy, quelle marque aujourd’hui voudrait se priver des milliards de consommateurs potentiels présents sur TikTok ? « Pour une marque digital native, les réseaux sociaux représentent 40% du chiffre d’affaires. Pour une marque wholesale plus traditionnelle, c’est tout de même 20%. » À condition d’en maîtriser les enjeux. Campagne, désirabilité, capacité à faire rêver ont certes fait le sel de l’industrie du luxe, mais c’est d’authenticité et de spontanéité que les consommateurs sont friands aujourd’hui, pour pouvoir s’identifier au produit qu’ils convoitent. « Tenir compte de ces évolutions est capital, poursuit Romain Tardy. Il faut savoir ajuster sa stratégie en temps réel et être ouvert à l’air du temps, comme l’a fait Loewe par exemple, qui prouve que savoir-faire et divertissement ne sont pas antinomiques. » Contrairement à d’autres grandes maisons, encore un peu frileuse de perdre la maitrise de leur image.

 

Une chose est sûre : qu’elle soit digital-native ou plus traditionnelle, axée mode ou beauté, aucune marque ne peut aujourd’hui faire l’économie des réseaux. Les plus malignes seront sur tous les fronts, avec une stratégie ciblée portée par des experts en la matière. Un enjeu de résilience et de capacité d’adaptation, pour des marques aux modèles et aux process bien définis. Si elles veulent rester en course dans un marché concurrentiel et saturé, elles devront savoir, à l’avenir, s’adapter en temps réel aux changements perpétuels, dictés main dans la main par le duo redoutable des consommateurs et des applis.

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